mardi 1 janvier 2008

2007 dans le rétro

Soixante-dix huit concerts cette année. Tendance à la baisse, mais qui reste suffisamment soutenue pour m'avoir permis de voir et entendre de fort belles choses (des moins bonnes également). S'il ne fallait en retenir que l'écume mémorielle la plus vive, ce serait sans conteste l'Aquarius Ingress de Steve Coleman à la Villette en septembre, Vijay Iyer et Rudresh Mahanthappa en duo au Sunside en juillet, Myra Melford et Kartet se partageant l'affiche à la Dynamo en mai, Mephista au Triton en novembre, Anne Paceo en quartet au Duc des Lombards en mars, sans oublier la double soirée Masada à Barcelone en juin. Une année dominée par les ramifications foisonnantes de l'esthétique m-baso-haskienne donc, avec toujours un fort parfum de Downtown Scene, et une pincée de jeune scène française. Ce riche mélange se retrouve parmi la production discographique qui m'a accroché : revue du meilleur of 2007 en douze galettes (le classement n'est qu'alphabétique).

Airelle Besson / Sylvain Rifflet - Rockingchair - Chief Inspector
Le disque qu'on attendait de la part de Jim Black ! Jazz, post-rock et pop entremêlés, pour une musique parente de celle d'AlasNoAxis, mais en plus variée. Clarté des lignes d'Airelle Besson à la trompette, profondeur de chant de Sylvain Rifflet au sax et à la clarinette. A mi-chemin d'influences Downtown parfaitement assimilées et d'une scène française cross-over largement documentée par Chief Inspector : Limousine, Caroline, TTPKC, Camisetas... Le tout avec un sens des mélodies qui devrait pouvoir séduire au-delà des cercles jazz.

Steve Coleman - Invisible Paths : First Scattering - Tzadik
Steve Coleman sur Tzadik : premier évènement. Steve Coleman en solo : deuxième évènement. Le résultat est à la hauteur de cette double attente. Séparés temporairement du magma ryhtmique qui les accompagne habituellement, la phrasé et la justesse de Coleman sur l'alto font ici merveille. Si on y retrouve évidemment une science de l'architecture rythmique des morceaux poussée à l'extrême, c'est en effet la possibilité d'entendre la beauté du son du chicagoan dans sa plus simple expression qui finit par emporter l'adhésion. Très addictif.

Sylvie Courvoisier - Lonelyville - Intakt
Abaton + Mephista = Lonelyville. C'est ainsi que la pianiste suisse définit ce nouveau groupe. Soit la composition contemporaine et l'écriture pour cordes de son trio Abaton mêlées à l'improvisation sertie d'électronique de Mephista. En quintet, avec le violon de Mark Feldman, le violoncelle de Vincent Courtois, les machines d'Ikue Mori et la batterie de Gerald Cleaver, Sylvie Courvoisier propose quatre suites envoutantes entre lyrisme et bruitisme, mémoire classique et écoute de l'inouï.

Sylvie Courvoisier - Signs and Epigrams - Tzadik
Grande année pour Sylvie Courvoisier, avec également la parution de ce disque en solo enregistré pour Tzadik. Dix pièces pour piano : des études, des improvisations, des compositions qui explorent les possibles du clavier mais aussi des cordes et du cadre. Parfois préparé, le piano devient un orchestre à lui tout seul. On y retrouve l'attention toute particulière de Sylvie Courvoisier portée au silence, au moindre bruit, aux résonnances mémorielles, par delà le jazz et le classique.

Dave Douglas Quintet - Live at the Jazz Standard - Greenleaf Music
Le Quintet de Dave Douglas ne cesse de surprendre. Chaque disque semble un cran au-dessus du précédent. Il sera toutefois difficile de faire mieux que celui-ci, résultat (en deux CD) d'une semaine passée au Jazz Standard new-yorkais. Dave Douglas y a troqué pour l'occasion sa trompette pour le cornet, mais c'est la cohésion de l'ensemble, la fougue de Donny McCaslin au sax et l'incandescence de Uri Caine au fender rhodes qui font la véritable différence. Du jazz plaisir, dans la lignée du second quintet de Miles dans les 60s, mais avec un son résolument contemporain.

Dupont T - Spider's Dance - Ultrabolic
La moitié de Kartet avec Rudresh Mahanthappa ! Hubert Dupont, bassiste de Kartet fait ici équipe avec Yvan Robilliard au piano, Chander Sardjoe à la batterie et donc l'altiste new-yorkais. Les compositions de Dupont ont toujours été les plus évidemment groove de Kartet, on retrouve donc ici son écriture chaleureuse, imprégnée de références africaines et indiennes. Sardjoe et Mahanthappa sont les partenaires idéaux par leur alliage raffiné du langage jazz et de leurs racines indiennes. Accélérations et décélérations vertigineuses pour un festival rythmique impressionnant.

Kartet - The Bay Window - Songlines
Cinquième disque en dix-sept ans d'existence pour le groupe le plus passionnant des années 90-2000 de l'hexagonojazzosphère, qui, une fois n'est pas coutûme, commence par un standard : Misterioso de Monk. De quoi, immédiatement, saisir les spécificités du "son" Kartet et d'en comprendre les racines. Des morceaux courts, d'apparence limpide, qui révèlent petit à petit, au fil des écoutes, toutes les subtilités de leur charme complexe : science des rythmes et des vitesses, alliance critisalline des timbres, originalité du phrasé, sens de la retenue et maîtrise de la tension. Du grand art. Le meilleur disque de l'année. Et, pour bien commencer 2008, Citizen Jazz met en ligne une interview de Guillaume Orti.

Rudresh Mahanthappa - Codebook - Pi Recordings
Un son nerveux, new-yorkais. De la vitesse, de la puissance, une dose d'acidité, un langage rythmique simultanément complexe et plein de groove. On avait découvert Mahanthappa dans le quartet de Vijay Iyer. Pour ce disque, les rôles sont inversés : le saxophoniste est devenu leader et le pianiste intervient en soutien. François Moutin à la basse et Dan Weiss à la batterie complètent le casting. Il y a de l'urgence dans cette musique, mais pas seulement. On est loin du free hurleur, plutôt dans une descendance explosive de Steve Coleman. Qui brille de mille feux.

Myra Melford / Mark Dresser / Matt Wilson - Big Picture - Cryptogramophone
On est pris par l'énergie tourbillonnante du trio dès les premières secondes du disque. Malgré le classicisme de la formule (piano-basse-batterie), on est ici assez loin du prêt-à-jouer plein de joliesses qui fait trop souvent florès ailleurs. Myra Melford y ré-explore le champ de ses amours musicales : du blues au free, en passant par les mélodies orientales (le premier morceau a ainsi un passage très masadien). Mais, surtout, la pianiste n'est pas seule en scène. Elle n'est ni soutenue, ni accompagnée par Mark Dresser et Matt Wilson. Les rôles au sein du trio changent constamment et l'identité qui en résulte ne peut apparaître que comme le résultat d'un son de groupe. Une joie de jouer, ensemble, communicative.

Chris Potter Underground - Follow the Red Line, Live at the Village Vanguard - Universal
Quel groove ! Le Village Vanguard inspire décidément Chris Potter. Après le bouillonnant Lift, dans un style post-bop un poil plus classique, le ténor plonge dans l'électricité en compagnie de quelques figures de l'underground Downtown : Craig Tabon aux claviers, Adam Rogers à la guitare, Nate Smith à la batterie. Soient des compagnons de route de Tim Berne, David Krakauer ou Dave Holland. Le plaisir est constant tellement la puissance allègre de Potter emporte tout sur son passage. Un groove incroyable, des compositions à l'accent quasi pop (très abordables en tout cas) et des effets électrisants constants de Taborn et Rogers qui font monter très haut la sauce.

Print - Baltic Dance - Yolk
Des compositions bien charpentées alliées à un souci du groove : on est en pleine esthétique haskienne. Pas étonnant d'y retrouver Stéphane Payen tant le cousinage avec Thôt est évident. Les compositions de Sylvain Cathala font une belle place aux complémentarités de timbres du ténor et de l'alto, dans une écriture dominée par des soucis architecturaux et de jeu sur les vitesses. La progression des morceaux est ainsi bien souvent irrésistible. Le jeu tout en rondeurs de Jean-Philippe Morel à la contrebasse apporte même une dimension chaleureuse indispensable à ce groove intellectuel.

Yves Rousseau - Poète, vos papiers ! - Le Chant du Monde
La surprise de l'année. Reprendre Ferré, c'est casse-gueule. Je partais loin d'être convaincu d'avance. La qualité des musiciens présents, et notamment des deux chanteuses, Jeanne Added et Claudia Solal, m'a poussé à tenter ma chance. Le résultat est passionnant. Yves Rousseau a adapté des textes issus du recueil de poèmes Poète, vos papiers publié en 1956. Certains avaient déjà été chantés par Ferré, d'autres étaient restés inédits en chanson. Jeanne Added se distingue particulièrement dans son interprétation. Si on est loin de la grandiloquence ferréenne, on entend une voix qui puise son énergie vitale dans ses tripes. Et puis, à une époque où n'importe qui s'improvise chanteur, il n'est pas désagréable d'entendre des voix justes qui ne se contentent pas de se poser sur la musique, mais qui au contraire participent pleinement à l'élaboration de celle-ci.

Bonne année 2008 à tous !

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